17.04.2007
Causerie projection
09:55 Publié dans Actualité-Compte-rendu, Causerie-Projection | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : causerie, projection, télévision, présidentielles, élections
Café Philo Médias
Etre et paraître et Télévision
Texte transmis par Ursula Houziaux.
Pour aborder la question je me réfère à la définition du lexique :
Etre = posséder une réalité ; avoir une présence dans un lieu
Donc : exister par une matérialité factuelle.
Les philosophes présocratiques se sont penchés sur l’étude des caractéristiques physiques du monde et de l’Homme pour aboutir à une considération morale qui ne concerne que l’Homme et qui lui faisait jouer un rôle particulier dans ce monde.
Sur cette base Socrate et Platon introduisent la notion de conscience comme indissociable de la notion d’ « être » pour l’Homme. La conscience est une constituante fondamentale, ce qui permet àSocrate de préconiser : « Connais-toi toi-même ». Invitation d’explorer son propre « Etre » pour devenir conscient de ce qui est, par rapport à ce qui paraît, qui n’est qu’un leurre et qui nous empêche de voir la réalité.
L’image de la « Grotte » de Platon est une saisissante application de cette nouvelle dichotomie: il y a ce qui est : – l’espace clos de la grotte
- les corps dans cet espace
- la lumière
et il y a ce qui paraît: - l’ombre
- le mouvement des ombres provoqué par la lumière.
Platon procède à une opposition de la « réalité » à ce qui semble être et qui n’est que le fruit d’une erreur de compréhension (absence de conscience), pour tirer la conclusion suivante :
Comme ce que nous voyons n’est pas la réalité, nous devons nous tourner vers la lumière pour pouvoir devenir conscient du réel. Donc : être Homme = avoir conscience.
Ce qui permet de dire à John Locke dans son « Essai sur l’entendement humain (1690) » :
§23. La conscience seule constitue le soi
Il n’y a que la conscience qui puisse unir en une même personne des exigences éloignées, et non l’identité de substances. Car quelle que soit la substance, quelle que soit sa structure, il n’y a pas de personnes sans conscience : [ou alors] un cadavre pourrait être une personne, aussi bien que n’importe quelle substance sans conscience.
…Ainsi le soi n’est pas déterminé par l’identité ou la différence de substance –ce dont il ne peut être sûr- mais seulement par l’identité de conscience.
Par la suite la Philosophie a délaissé inexorablement la question de « l’être » au profit de l’analyse du phénomène de la « représentation consciente à partir des sensations ». L’étude s’élargit par la distinction de « l’acte de saisir par les sens ou par l’esprit ». Notez bien le ou !
Il s’agit dorénavant d’explorer, au-delà de la perception du matériel, notre perception de l’immatériel, du virtuel, de l’abstrait.
Cela nous amène à une interrogation sur le « paraître ».
Le lexique nous apprend que paraître = se présenter à la vue des autres
avec un attribut paraître = sembler, avoir l’apparence.
Donc paraître n’est possible qu’à travers un autre : par son regard, sa perception réflexive en même temps que de sa conscience de ce qu’il voit.
Gilles Deleuze dans « La logique du sens » Ed. de Minuit (1969) mène la réflexion suivante :
Que se passe-t-il quand autrui fait défaut dans la structure du monde ? Seule règne la brutale opposition du soleil et de la terre, d’une lumière insoutenable et d’un abîme obscur : « la loi sommaire du tout ou rien ». le su et le non-su, le perçu et le non-perçu s’affrontent absolument, dans un combat sans nuances ; « ma vision du monde est réduite à elle-même, ce que je n’en voit pas est un inconnu absolu partout ou je ne suis pas actuellement règne une nuit insondable ». Monde cru et noir, sans potentialités ni virtualité : c’est la catégorie du possible qui s’est écroulé,…
Il faut donc conclure que le regard d’ Autrui m’est indispensable pour accéder à une conscience du possible ainsi qu’à la notion de mon moi possible. En même temps que ce regard de l’autre nous révèle l’extériorité de cet autre : il est en dehors de nous et son regard ne peut refléter que notre extérieur.
Maurice Merleau-Ponty dans « Les relations à autrui chez l’enfant » (1975) décrit l’impacte de la découverte de l’image de soi et les risques d’aliénation qu’elle entraîne.
…L’image du miroir, elle, va rendre possible une contemplation de soi-même. Avec l’image spéculaire, apparaît la possibilité d’une image idéale de soi-même, en termes psychanalytiques, d’un sur-moi, que d’ailleurs cette image soit explicitement posée, ou qu’elle soit simplement impliquée par tout ce que je vis à chaque minute.
…L’image propre en même temps qu’elle rend possible la connaissance de soi, rend possible une sorte d’aliénation : je ne suis plus ce que je me sentais être immédiatement, je suis cette image de moi que m’offre le miroir. Il se produit, pour employer les termes du docteur LACAN, une « captation » de moi par mon image spatiale. Du coup je quitte la réalité de mon moi vécu pour me référer constamment à ce moi idéal, fictif ou imaginaire, dont l’image spéculaire est la première ébauche. En ce sens je suis arraché à moi-même, et l’image du miroir me prépare à une autre aliénation encore plus grave, qui sera l’aliénation par autrui. Car de moi-même justement les autres n’ont que cette image extérieure analogue à celle qu’on voit dans le miroir, et par conséquent autrui m’arrachera à l’intimité immédiate bien plus sûrement que le miroir.
Dit autrement, cela signifie que la tentation de se préoccuper de l’image que nous cherchons de donner de nous au monde nous éloigne bien d’avantage de la conscience de nous-mêmes que le regard que nous avons sur notre image dans le miroir. C’est comparable à regarder un reflet de miroir au moyen d’un miroir. En liant ce constat à la notion du possible telle que Levinas l’a employée, il devient logique de conclure : plus nous cherchons à rendre meilleur notre image telle nous la voyons à travers le regard d’autrui plus nous nous éloignons de nous-mêmes. Il deviens évident que la notion de notre image extérieur inclut l’apparition d’un conflit inextricable : l’opposition de notre image à notre conscience de nous-mêmes. Et au- delà ce conflit s’étend sur notre notion du réel.
Dans « Humanisme de l’autre homme » (1972) Emmanuel Levinas pense cette problématique à son tour :
… Le mouvement vers Autrui, au lieu de me compléter ou de me contenter, m’implique dans une conjoncture qui, par un côté, ne me concernait pas et devrait me laisser indifférent …
D’où me vient ce choc quand je passe indifférent sous le regard d’ Autrui ? La relation avec Autrui me met en question, me vide de moi-même et ne cesse de me vider en me découvrant des ressources toujours nouvelles. Je ne me savait pas si riche, mais je n’aie plus le droit de rien garder. Le Désir d’ Autrui est-il un appétit ou une générosité ? Le Désirable ne comble pas mon Désir, mais le creuse, me nourrissant, en quelque manière, de nouvelles faims…
Le Désir d’Autrui que nous vivons dans la plus banale expérience sociale, est le mouvement fondamental, le transport pur, l’orientation absolue, le sens…
Autrement dit, l’expression, avant d’être célébration de l’être, est une relation avec celui à qui j’exprime l’expression et dont la présence est déjà requise pour que mon geste culturel d’ expression se produise.
Plus loin dans « La logique du sens » citée plus haut, Gilles Deleuze décrit le phénomène ainsi :
[Autrui nous ouvre le champ du possible]
… Un visage effrayé, c’est l’expression d’un monde possible effrayant, ou de quelque chose d’effrayant dans le monde, que je ne vois pas encore. Comprenons que le possible n’est pas ici une catégorie abstraite désignant quelque chose qui n’existe pas : le monde possible exprimé existe parfaitement, mais il n’existe pas (actuellement) hors de ce qui l’exprime. Le visage terrifié ne ressemble pas à la chose terrifiante, il l’implique, il l’enveloppe comme quelque chose d’autre, dans une sorte de torsion qui met l’ exprimé dans l’exprimant. Quand je saisis à mon tour et pour mon compte la réalité de ce qu’ autrui exprimait, je ne fais qu’expliquer autrui, développer et réaliser le monde possible correspondant.
Là nous trouvons bien la mise en perspective de l’image du miroir dans le miroir avec la transposition d’une réalité dans le monde du possible, que le langage contemporain traduirait par : monde virtuel. Un monde qui n’est plus tangible que dans le regard. Dépourvu de matérialité ce monde est désormais suspendu à nôtre perception. Et la nature de nôtre perception est entièrement dépendante de la conscience dont nous sommes encore capables.
D’entrée de considération il faut convenir que la Télévision, comme tous les médias, se situe par définition dans le domaine du paraître. Elle fait incontestablement partie du monde du possible dépourvu de matérialité. C’est dans le regard posé sur elle qu’elle accède à une sorte d’existence dans le sens cartésien. La réalité matérielle de la télévision se trouve dans les installations techniques de l’émetteur, du récepteur et l’énergie des ondes émises : donc dans des caractéristiques en dehors du champ de vision du téléspectateur, qui n’a aucun besoin d’en avoir connaissance pour regarder son image et accéder à son message. Si elle a besoin d’une matérialité pour pouvoir exister, son existence proprement dit est strictement immatérielle.
Dans un essai sur « L’image » pour le congrès Psycho-Histoire du 6 juillet 2002 Claude Deléglise pose la question : Avec les technologies médiatiques grandissantes l’image fabriquée et imposée est omniprésente. La frontière entre la réalité et le virtuel devient floue…
Doit-on craindre que la part de l’imaginaire se réduise ou disparaisse pour laisser la place au conditionnement par l’image ? …
… nous glissons avec vertige dans un monde d’images intangibles, immatérielles et virtuelles …Frédéric Beigbeider fait référence au mythe de la caverne de Platon dans son roman 99F :
« L’homme était entré dans la caverne : le philosophe grec avait imaginé les hommes enchaînés contemplant les ombres de la réalité sur les murs de leurs cachot. La caverne de Platon existait désormais : elle se nommait Télévision. Sur notre écran cathodique, nous pouvions contempler une réalité, ça ressemblait à la réalité, mais ça n’était pas la réalité… ! »
Irène Frain dans « A jamais, au-delà du miroir » écrit à propos des stars :
« Il est une condition à l’entrée au Panthéon des Mythes : posséder ce que depuis deux décennies on appelle un look. Emporté dans son monstrueux tourbillon d’images, aiguillonné par les prodigieux progrès de la cosmétique et de la photographie, encouragé par la fascination mondiale pour les phénomènes de mode, le vingtième siècle se meurt dans une course planétaire à l’apparence la plus spectaculaire. Le chemin de la gloire passe obligatoirement par la conquête de l’image. Ce qu’on appelle la tyrannie des apparences.
Jean Baudrillard considère qu’il y a une sorte de vertige collectif à aller jusqu’au bout de la simulation, à installer partout un monde artificiel, non naturel. Il se demande si la vie télévisée, la vie par écran interposé n’est pas plus réelle parce qu’elle répond à ce que nous avons envie de vivre.
Dans MATRIX il y a bien une scène où est décrit le monde de créatures humaines enfermées dans des sortes d’utérus géants à qui on procure par transmission dans leur cerveau le déroulement d’une vie virtuelle. Tandis qu’ils n’existent que pour produire de l’énergie.
Utopie où bientôt réalité tangible pour certains d’entre nous ?
Il y a fort longtemps que Emmanuel Kant s’est lui aussi posée la question du bien-fondé des
choses dans « Fondement de la métaphysique des mœurs (1785) :
… Le problème qui consiste à déterminer d’une façon sûre et générale quelle action peut favoriser le bonheur d’un être raisonnable est un problème tout à fait insoluble…
Pour ma part je crois que notre condition humaine ne cessera pas de nous imposer encore et toujours la nécessité de partir à la découverte du monde et de nous-mêmes.
Courir le risque de nous perdre sur le chemin des découvertes ou préférer l’ignorance dans la sécurité. Seule notre conscience peut arbitrer la question du voulu. Pour cette raison je reviens pour clore àSocrate et son précepte : « Connais-toi toi-même ». Il reste a ajouter : et profite de ta courte vie pour découvrir un maximum.
Ursula Houziaux
Essai pour le Café-Philo du 21 avril 2007
09:50 Publié dans Actualité-Compte-rendu, Café Média | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : café, philo, Ursula Houziaux, Lacan, Lévinas, socrate, Etre
05.04.2007
LE RIRE DANS TOUS SES ECLATS
photos Danielle Heitz ©
Ce colloque a réuni les 30 et 31 mars 2007, l'UIV le Club Audiovisuel , le club cinéma et le café Larbaud. Pour l'essentiel, il s'est déroulé au Pôle Lardy sur fonds d'exposition de gravures et caricatures anciennes « Le rire dans l'art « réalisée par Ursula Houziaux et André Leca et de deux vitrines de pantins « clowns » agréablement mis en scène par Danielle Heitz.
C'est d'ailleurs les caricatures de Daumier vidéoprojetées que devait commenter avec une grande compétence Michèle Borie, professeur d'arts plastiques.Hursula Houziaux et Claude Deléglise avaient ouvert le colloque par une anthologie du rire, rapide tour d'horizon du rire à travers les âges... de la bible aux psychologues modernes en passant par Aristote, Rabelais, et bien entendu Bergson, pour n'en citer que quelques uns. Difficile de brosser un panorama d'une réalité aussi riche et variée en un demie heure. (un lien renvoie à cette communication).L'excellent montage vidéo réalisé par le club audiovisuel sur les différentes formes du rire à partir d'extraits d'émissions télévisées entraînait effectivement de nombreux rires et un débat animé qui aurait pu se prolonger fort tard !
Merci à Danielle, Jacques, Madeleine, Philippe( responsable du montage), Ursula pour ce gros travail.
Samedi matin David de Montmollin, Président de l'association pour la formation et l'initiative en psychiatrie de l'enfant de Vichy laissait la parole à Massia Driss el Kesri, rédacteur en chef du « Papotin » , un journal réalisé avec et par des autistes à l'hôpital de jour d'Antony, un journal qui change le regard sur l'autisme.(http://www.lepapotin.org ) . C'est avec beaucoup d'humour, de passion , d'humanité et d'affection pour « ses » autistes que Driss el Kesri commentait une touchante vidéo
d'interviews et débats menés par les autistes. Pour tous un moment d'émotion vraie , une découverte d'une grande richesse.
L'après midi, Dominique Crépin , animateur du café Philo de Clermont-Ferrand,(Voir le lien vers le blog REGARD ANGELICUM réalisé par CLBarimaj pour Dominique Crépin) dedans un exposé sur le comique autour de « Humour et ironie » a fait beaucoup rire l'assistance, mais aussi réfléchir par une ronde philosophique d'une grande densité sur le rire à travers la philosophie. Il a exploré et ouvert de nombreuses pistes. Son texte est à relire et à méditer. Marianne Charlot avec sa « casquette « de sociologue introduisait Charles Bata, Professeur de Français à Vichy , originaire de République Centrafricaine. Avec simplicité et naturel, il a raconté les moeurs et coutumes de son pays dans la vie quotidienne, familiale et sociale, une plongée enrichissante et fort amusante dans une autre culture. Merci Charles Bata!
Sous la conduite Jeanine Huguet qui enseigne à l'UIV les participants se sont livrés avec bonne humeur à une démonstration collective de YOGA du rire... ce qui a permis de conclure sur un grand éclat de rire!
Mais pas de terminer car c'est au café Philo avec la participation active de Dominique Crépin et une assistance nombreuse que la véritable conclusion du colloque a eu lieu sur le thème « Le rire adoucit-il les moeurs », débat animé et contradictoire comme le café Larbaud en a le secret, prolongé par le buffet « l'humour toujours » apprécié des gourmets et illustré de sketches non moins savoureux!
A l' Elysée Palace , par trois fois le club cinéma de Vichy donnait une autre occasion de rire avec le film de 1974 « Frankenstein junior « de Mel Brooks .
Merci à tous les intervenants et aux associations pour l'organisation et la tenue de ce colloque largement apprécié...et maintenant place à l'imagination de tous :
Quel thème pour notre colloque 2008 ?
Claude Deléglise
10:45 Publié dans Colloque Séminaire Congrés | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : rire, colloque, humour
L’ANTHOLOGIE du RIRE
L’ANTHOLOGIE du RIRE Introduction au Colloque
par Claude Deléglise et Ursula Houziaux
Photos Dannielle Heitz
Déjà la Bible nous parle du fait : lorsque Dieu annonce à Abraham, qui avait déjà cent ans à ce moment qu’ il aura un fils de sa femme Sara qui contait 90 ans quand à elle, tous deux se mettent à rire… Isaac sera le nom de l’enfant promis et signifie « Dieu a ri « .
Rappelez vous que la Genèse, ce compte de la création du monde, nous décrit comme une créature à l’image de Dieu ! Donc forcement rieur.
Les Grecs arrivent à un constat similaire par une autre approche : Ils estiment que les êtres humains sont si petits et insignifiants dans ce vaste monde qu’il ne leur reste qu’un rire de dérision sur leur condition. De leur côté les Dieux rient des hommes avec humour…
Serait-ce que le rire est le point commun entre les dieux et les hommes ?
Démocrite d’Abdère ( 460-370 av. J.C.) se livrait à un exercice de rire sur la vacuité des efforts humains, à la fois diagnostic et remède. Attitude qui lui a valu le surnom « le Rieur ».
Socrate (470-399 av. J.C.) invite ses contemporains à diriger l’interrogation philosophique sur eux . Sa devise « connais-toi toi-même « devait aboutir dans une perception réaliste de sa propre condition. Et pour aider à supporter cette réalité souvent bien cruelle et désenchanteresse il préconise le rire. L ironie est son moyen favori.
Platon, fidèle disciple de Socrate, (428-348 av . J.C. ) étend dans son ouvrage « La République » sa réflexion au rire sarcastique et destructeur. Déjà l’ambivalence du rire devenait évidente.
Diogène de Sinope, le Cynique, ( 413-327 av. J. C.) prend le parti de la moquerie féroce.Il met radicalement en pratique l’outrance en acte et en paroles, particulièrement contre les puissants et les riches. On dit qu’il aurait crié à une vente d’esclaves « quelqu’un veut-il acheter un maître ? ».
Aristophane (445-386 av. J.C.) met à profit toutes ses réflexions pour devenir le plus grand auteur comique de l’Antiquité. Dans les « Nuées » il nous livre une caricature cuisante de Socrate qui, à son goût, oubli un peu trop souvent de rire de lui-même. "Lysistrata ", autre chef-d'oeuvre de son cru, est une grotesque politique contre la poursuite de la guerre contre Sparte.
Aristote (384-322 av. J.C.) en « cartésien » avant l’heure établie une étude anatomique dans son livre « les parties des animaux ». L’action du rire et du comique sur le diaphragme y est une de ses préoccupations spécifiques.
Si les Grecs ont manifestés une préférence pour l’ironie, pour le rire de réflexion et d’analyse,
il ne va pas de même pour les Romains.
Ceux-ci ont montrés une prédilection pour la satire sociale et comique ou le spectateur ri avec
l’assurance de sa supériorité.
Ainsi Pétrone, le Romain, (mort en 66 ap.J.C.) nous fait don du « Satyricon » le premier roman de la littérature occidentale. Brillante « raillerie » qui brosse un tableau sans concession de son monde contemporain. Il ne néglige pas pour autant l’élégance. A propos du sexe d’Ascylte : » Ce garçon avait des agréments d’un tel poids que l’homme tout entier semblait une dépendance de sa mentule ( son sexe) prodigieuse » on ne peut que sourire.
L’étude sociale satirique est également le sujet des écrits de Juvénal (60-130 ap.J.C.)
Quand à Caton l’Ancien, dit le Censeur, (234-149av.J.C.) il lui revient le redoutable honneur d’être resté dans l’histoire pour son aspect comique.
Pour des raisons morales Caton s’était braqué contre la cité de Carthage « L’Effervescente ».
Son aversion a été si obstinée qu’il terminait tout ses discours infailliblement par « Il faut détruire Carthage ! ». Comme les discours soviétiques commençaient par « Camarades citoyens ! » et les harangues nazies terminaient par « Heil Hitler ! »
Et ses contemporains ne se sont pas trompés : ils en ont ri de bon cœur.
Extrait audio Enregistrement CLBarimaj (pour écouter la suite du texte)
Avec le démantèlement de l’Empire Romain débute une période de brassage culturel et d’instabilité politique sans précédent en Europe.
De ce contexte de lutte permanente et d’incertitude générale émerge une nouvelle culture :
Le Christianisme.
En opposition à la décadence romaine le Christianisme a prôné l’idéal de la quête spirituelle et du renoncement au monde matériel.- Il y a là d’ailleurs un parallèle à explorer avec le Bouddhisme et le Taoïsme.-
Le Moyen-Âge si richement fertilisé par le passé et son présent possède tous les atouts pour fonder un monde nouveau. Et naturellement l’esprit critique possède les mêmes caractéristiques. Il est d’autant plus vif qu’il n y a pas encore des académismes trop installés pour lui interdire son expression. Donc on se gaussait, se moquait et parodiait volontiers n’importe qui n’importe comment, sans état d’âme et sans égards. Pendant ce temps la Scolastique, le savoir savant, s’occupait de Dieu et de Théologie loin des viles préoccupations des hommes. C’est probablement la raison pour laquelle nous ne disposons que de peu de témoignages de cette vie « triviale » ne valant pas la peine d’être mémorisée.
Le « Roman de Renart » du 12ème-13ème siècle est l’œuvre la plus importante qui nous est parvenu. Il puise ses sujets dans les combats chevaleresques, des scènes de jugement et les pèlerinages fort à la mode en ces temps en attribuant des comportements humains à des animaux.
La Renaissance redécouvre conjointement aux œuvres antiques l’esprit du comique et de l’ironie. En Italie l’auteur Poggio Bracciolini dit Le Pogge publie en 1452 un recueil d’anecdotes croustillantes et scabreuses « Les Facéties », fraîchement sorties de la Chancellerie de la Curie Romaine. Le scandale était retentissant !
Entre 1461 à 69 un auteur inconnu rédige « la Farce de Maître Pathelin » qui joue sur le registre du trompeur trompé et donne un avant-goût de la comédie de Molière.
En 1508 Erasme de Rotterdam renoue avec l’ironie dans « l’éloge à la Folie ». Il use du jeu de mot, d’allusions, questions et lapsus volontaires pour semer le trouble. Ainsi, en voyant le train de vie opulent du Pape et des évêques, il pose la question : si les vicaires du Christ cherchaient à imiter sa vie, sa pauvreté, sa sagesse, sa croix, ne seraient-ils pas les plus malheureux des hommes ? Socrate est de retour !
Erasme déclare également que : « rire de tout ce qui se fait et se dit est sot, ne rire de rien est imbécile ».
En 1532 était publié « Prouesses du très renommé Pantagruel » suivi de « Vie inestimable du grand Gargantua, père de Pantagruel » deux ans plus tard en 1534. L’auteur, François Rabelais (1494-1553), tente là l’exploit inédit de concilier la culture savante avec les coutumes populaires. Dans un élan humaniste naissant il cherche à renouveler moins l’idéal que l’idée philosophique sous l’éclairage de la pensée antique retrouvée.
Dans ce siècle de schisme religieux, de la Saint Barthélémy, d’inquisition florissante, il n’y avait pas de place pour le divertissement et encore moins pour le rire. Il a fallu attendre le 17ème siècle pour voir éclore, à l'abri d’une certaine stabilité politique retrouvée,
le talent satirique et humoristique d’un Jean de la Fontaine, de Bossuet, Boileau et de Molière.
En 1664 Boileau écrit « Le Chapelain décoiffé » ou il épingle un ennemie littéraire de Corneille, Chapelain :
« Ô rage, ô désespoir, ô perruque, ma mie !
« N’as-tu donc tant duré que pour tant d’infamie ?
« N’as-tu trompé l’espoir de tant de perruquiers
« que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?
Voilà la parodie venue !
De son côté, Spinoza (1632-77) a analysé avec finesse le lien de cause à effet du bienfait du rire : « Ce n’est point parce que je me réchauffe que je suis content, mais je suis content que je me réchauffe ».
Donc je ne suis pas heureux parce que je ri, je suis heureux de pouvoir rire !
Jean-Baptiste Poquelin, notre grand Molière, a renoué avec le comique ironique des Grecs pour développer la comédie. Grâce aux commandes royales il invente la comédie-ballet ou les danseurs participent au spectacle en 1664. Mais son voeu le plus cher est « d’entrer comme il faut dans le ridicule des hommes ». Il combat les vices de son temps avec la vertu de la caricature. En ce faisant il nous fait beaucoup rire, y compris de nous-mêmes.
Vers 1760 Voltaire s’exprime dans une lettre à Mme d’Epinay comme suit : »Ce monde est une guerre. Celui qui rie aux dépens des autres est victorieux. Je prends le parti de me moquer de tout, de rire de tout. Ce régime est très bon pour la santé, et j’espère qu’il me guérira. Le seul parti raisonnable dans un siècle ridicule, c’est de rire de tout…
Il y a comme un parfum de Diogène le Cynique.
En 1797 Emmanuel Kant a développé une définition du rire. Selon lui le rire vient »d’une attente qui se résout subitement en rien ».
Dans les « Aphorismes sur la sagesse dans la vie » Arthur Schopenhauer (1788-1860) a conclu que le rire et la gaîté sont les seuls à nous apporter un bénéfice immédiat. « Eux seuls sont, pour ainsi dire, l’argent comptant du bonheur ; tout le reste n’est que billet de change… » Il en déduit que c’est ça le « bien suprême pour des êtres dont la réalité a la forme d’une actualité indivisible entre deux temps infini ».
En d’autres termes : Qui sait saisir consciemment l’instant du rire détient la plus grande richesse que l’ être humain peut atteindre dans le temps de sa vie.
Dans Parenga en 1851 son rire se teint de désespoir : » Je ne puis m’empêcher de rire quand je vois les hommes réclamer sur un ton assuré et hardi la continuation à travers l’éternité de leur misérable individualité.»
Sören Kierkegaard (1813-55) s’occupe de nouveau de l’ironie. Il la considère « étant une réflexion et détaché de l’immédiateté ». Dans les « Miettes Philosophiques » il résume que le comique « est partout où il y a de la contradiction « . Selon lui l’humour naît de la conscience d’une situation de disproportion.
Le théâtre de boulevard connaît une formidable expansion depuis la Révolution française. Labiche, Feydau, Eugène Scribe sont connues de tout le monde. La télévision les diffuse régulièrement. Les humoristes et les comiques sont les vedettes de la distraction à la maison.
En 1928 dans « Propos sur le Bonheur « Alain dit que le physiologiste connaît bien la raison pourquoi le rire nous change : il descend aussi profond que le bâillement, et, de proche en proche, délie la gorge, les poumons et le cœur. Aucun médecin ne trouverait dans sa boite à remèdes de quoi agir si promptement. A moins de faire du rire son remède !- Quand Sigmund Freud dans « Le mot d’esprit et ses rapport avec l’inconscient » en 1905 tire la conclusion que « l’humour est la contribution apporté au comique par l’intermédiaire du surmoi » il fait du rire la voie princière, parallèle à la voie royale du rêve menant à la connaissance de l’inconscient. Selon lui l’humour est un moyen de défense qui fait triompher le moi et le principe de plaisir.
La Psychologie a disséqué le rire en 4 principales caractéristiques :
1.Expression de supériorité
2.expression d’agression (socialement tolérable)
3.Allusions sexuelles
4.défense contre la réalité ( dérision et absurdité)
Au 20ième siècle le philosophe Henri Bergson a consacré un essaie à la question du rire. Il représente sans aucun doute la somme exhaustive de toutes les réflexions sur le sujet. En étudiant les diverses catégories du comique, Bergson réussi à rendre évident la logique qui déclenche le rire.
Claude Roy a récemment fait le constat qui résume parfaitement l’ambiguïté du rire :
« Les hommes ont peur du rire parce que le rire retranche, exclut, agresse. Les hommes ont besoin du rire parce que le rire détend, désarme, relie. »
Pour clore cette anthologie je reviens à Aristote qui dit que « le vrai musicien est celui qui se plaît à la musique comme le vrai politique est celui qui se plaît à la politique » pour prolonger sa pensée :
Le vrai rieur est celui qui se plaît à rire ; celui qui sait accueillir cet instant de vie infiniment bref, complexe et riche qu’est l’éclat de rire !
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